alex
chris
Mon impression de vertige et de blocage face à ce qui ressemblait à des personnalités incompatibles qui pourtant vivaient dans ma seule tête remonte à loin.
Début
Je touche mon premier piano autour de mes cinq ans. J’aime. J’aime beaucoup mais il en est pas question on n’a pas l’argent. En grandissant je suis le parcours de ma soeur, elle fait de la danse. Un sport, mais un sport artistique. Très important : artistique. Ça prend de la musique et de la créativité. J’ai trouvé ma voie et je suis bon. Si je poursuis dans cette direction, le piano ne me quitte QUAND MÊME pas l’esprit et à chaque visite CHEZ ma grand-mère je cours jusqu’à son orgue électronique infiniment plus vieux que je ne l’étais moi-même et qui devait certainement, à cette époque, coûter UN NOMBRE DE FRANCS QUE MON ESPRIT NAÏF NE POUVAIT PAS MÊME CONCEVOIR. Ma grand-mère est pauvre et je ne lui ai jamais demandé comment cet incroyable objet avait un jour atterri chez elle.
Rapidement j’arrive à l’âge oÙ chaque anniversaire et chaque noël consisteNT à DEMANDER TOUJOURS PLUS D'ARGENT. JE COLLECTE, puis vient mon premier piano électronique, ma première guitare, mon premier ampli, mon premier micro, mes premières pédales d’effets : chaque nouveauté est une naissance.
T’es pédé ou t’es cool?
J’aime le rock. J’aime vraiment le rock. Ça commence à prendre de la place, et je commence à être déchiré : “T’es danseur ou t’es rockeur. T'ES L'UN OU T'ES L'AUTRE.” Si ça paraît stupide je l’entends mais personne ne m’apprend qu’y a rien qui t’empêche D'ÊTRE À LA BARRE à 16h puis MALTRAITER UN AMPLI à 19. Non seulement on me l’apprend pas, mais on met beaucoup d’efforts, pendant beaucoup d’années, à me faire comprendre que je suis “juste une tapette” parce que je suis danseur.
Juste une tapette.
Mais tout à coup porter la guitare un peu bas m’attirait la bienveillance des autres. Là et seulement là. C’est pas juste que t’es danseur ou rockeur, c’est que t’es pédé ou t’es cool.
Je jongle avec les deux pendant des années. Je sens pendant longtemps que je marche sur un fil et quE MON IDENTITÉ DOIT S'ADAPTER À chaque pas de côté, SELON qui se trouve de chaque bord du fil. C’est sans doute plus vivable d’être tantôt cool tantôt une tapette que tout le temps une tapette mais ma tête comprend pas et par la force des choses je développe mes identités habité par cette ambivalence. Tout est instable, tout le temps, TOUT MOI.
Un exemple suffit
Et puis je découvre Placebo et cette tapette de rockeur de Brian Molko. Le gars ose monter sur scène en 1999 avec des jupes, du maquillage et une guitare. Brian me sauve la vie en même temps que je découvre vraiment ce que c’est d’être une tapette au contact des premières verges étrangères à la mienne. Je commence à comprendre qu’être quelqu’un, c’est un peu plus compliqué qu’être quelque chose.
Puis vient le temps DE l’université. C’est trop. La danse, le rock, la fac : c’est trop. Faut que j’en lâche un. Je lâche la danse. La fac me séduit : subitement une infinité d’horizons s’ouvre à moi. En les explorant ET POUR D'OBSCURES RAISONS QUI M'ÉCHAPPENT ENCORE MON ESPRIT S'ANIME AU CONTACT de la politique. Je COMMENCE À CONNAÎTRE TOUS LES JOURNALISTES POLITIQUES ALORS JE VEUX DEVENIR journaliste politique, je commence à en bouffer du matin au soir. Mais je redécouvre le déchirement. là encore, Il faut choisir : LES ROCKEURS ONT la tête dans les étoiles, LES JOURNALISTES les pieds solidement sur terre. Cette fois c’est moi qui crois fermement que les deux n’ont aucune chance de coexister. Quand je deviens vraiment journaliste (SANS LE POLITIQUE) et qu’on me donne des contrats en culture, c’est pire : je dois écrire sur les autres artistes. Ceux qui ont réussi. et JE DOIS dire ce que j'en pense. À ce moment je n’ai aucun respect pour cette discipline. Les critiques sont les modèles les plus accomplis de l’échec qui se consolent en chiant sur la réussite des autres avec l’espoir inavouable de la faire vaciller, ou simplement en la commentant la bouche entrouverte et les yeux humides. L’un ou l’autre ME donne la nausée. Dans mes tripes, c’est violent.
25 ans à chier dans la colle
Je m’appelle Alexandre-Christopher PARFOIS, ou Alex Chris. ALEXANDRE AUX YEUX DE L'ÉTAT FRANÇAIS, ALEXANDRE-PHILIPPE AUX YEUX DE L'ÉTAT CANADIEN. POUR MES AMIES, SIMPLEMENT ALEX. Il m’aura fallu environ 25 ans pour me défaire de mes propres barrières. Après tous ces questionnements qui me semblaient si existentiels j’ai tenté la voie qui me convenait le mieux en ME PLONGEANT DANS LE ROCK. Je me suis équipé, j’ai immigré dans MA BELLE MONTRÉAL SI réputée pour sa culture underground, j’ai composé des albums, j’ai monté un band, je suis monté sur scène, j’ai tripé fort malgré l’impératif d’être coké à m’en boucher les sinus pour être capable d’y mettre un premier pied, mais j’étais toujours pas heureux. L’aventure a duré quelques temps et j’ai arrêté. Tout. Le temps d’y penser et surtout le temps de me réparer parce qu'entre temps je m’étais solidement brisé. Entre les déchirements le harcèlement les déracinements les reconditionnements et mes luttes et mes chutes et ma violente découverte d’un monde MALADE PLUS MALADE que toutes les projections ne l’avaient jamais projeté j’ai trouvé refuge dans la boisson et les drogues et ce confort m’a piégé jusqu’à presque parvenir à m’éteindre. Brisé, mais avec la ferme intention de pas céder à la tentation de crever, de prendre L'issue de secours, CELLE si facile et on le sait les issues de secours sont toujours éclairées de néons qui jamais Ô JAMAIS NE S'ÉPUISENT pour ne jamais se faire oublier, PARTICULIÈREMENT quand t’es dans le noir le plus complet. Brisé, mais déterminé à rallumer les lumières. EN TOUT CAS JE CROIS.
Revenir ou périr
Quand je crée ORANGE O’ je ne sais pas où je vais. Ne sachant pas où je vais je commence à aller partout. C’est une de mes caractéristiques, m’éparpiller. Mais je guéris alors cette fois je m'éparpille avec plus de rigueur, je m'éparpille là oÙ je sais comment on s’éparpille. Ou à peu près.
J’ai 36 ans et je n’ai plus rien à FOUTRE de savoir ce qu’il faut être et comment l’être pour être conforme à un objet identifiable, descriptible, présentable, chroniquable. Je regarde mes idoles d’hier avec ma peine d’aujourd’hui et le coeur un peu mort mais aussi l’envie morte et parfaitement morte d'un jour intégrer CE CLUB D'ÉLITES DÉGUISÉES EN BOHÉMIENNES.
ORANGE O’ est mon lieu de liberté. J’y développe ma musique, mes obsessions, mes envies de tout transformer en images, ma rage contre l’humain, mes biais analytiques, mon besoin de poésie, ma conviction de notre extinction, ma passion des étoiles, mes hypocrisies, mes instabilités mentales, mon amour des corps, et ma haine de bien des choses.
Tout y passe.